mercredi 4 janvier 2012

Douleurs de mère

Il est des douleurs physiques, des douleurs morales, des douleurs intolérables, des douleurs qu’on oublie, des douleurs chroniques, celles qui restent gravée dans nos corps, dans nos mémoires, des douleurs qui grandissent chaque jour…
Vous l’avez compris mon billet d’aujourd’hui n’est pas gai, je vais essayer de me livrer sans pleurer sur mon clavier, ce n’est pas gagné. Car il y a une douleur qui me ronge depuis presque 5 ans… l’âge de ma fille aînée dans quelques semaines.
Car c’est elle la source de ma douleur, bien qu’elle n’y soit pour rien la pauvre bichette.
Rebecca (c’est son deuxième prénom) est une enfant désirée. Mon chéri et moi avons ressenti ensemble, au même moment pratiquement, l’envie de créer une famille, au bout de quatre ans de passion.
Sa conception a été immédiate, comme si mon corps attendait depuis longtemps, dans les starting-blocks, la possibilité d’accueillir le fruit de notre amour. Pourtant j’avais plus de 32 ans, je fumais et mangeais mal, pas toutes les chances de mon côté malgré tout !
Et c’est là que les douleurs ont commencé. Je n’ai pas supporté la déformation physique de la grossesse. Il faut savoir que je suis une ancienne anorexique mentale et que je commençais juste à m’en sortir à ce moment.
Par principe, car je suis juste un peu  inflexible sur certaines choses, j’ai immédiatement arrêté de fumer, j’ai adopté une alimentation équilibrée, privilégiant les aliments riches en fer, en fibres… et mon corps trop content d’être nourrit, a stocké…beaucoup stocké… j’ai pris 28 kilos en 9 mois, et pour quelqu’un obsédé par son poids, c’est l’horreur extrêmement dur à supporter !
Le pire étant les réflexions à la con de l’entourage : tu es épanouie, ça te va trop bien d’être enceinte, on voit même pas que t’as grossi…et j’en passe. Sans compter le gynéco de la maternité qui m’a suivi sur les derniers mois, auprès duquel mon chéri a dû prendre ma défense, lui certifiant que : non je n’avalais pas des quantités astronomiques de nourriture, oui je mangeais très équilibré et raisonnablement. Très infantilisant. Je l’ai détesté ce doc.
A côté de ça, je préparais l’arrivée du bébé comme n’importe quelle primipare surexcitée enthousiaste : j’ai tanné le futur papa pour choisir des prénoms alors qu’on ne savait pas encore le sexe, j’ai aménagé une jolie petite chambre, le berceau familial était garni de doudous en tous genres, une copine m’a prêtée plein de fringues que j’ai triées, lavées, retriées, rangées, en couinant comme une idiote devant les trooop mignoooons petits babygros, ensembles et autres…
Sinon ma grossesse s’est déroulée sans souci, arrêtée tôt pour contractions, mais pas de MAP. Je me souviens même la veille de la naissance de Rebecca, être en train de m’occuper de mes chevaux, à me plier pour passer sous la barrière etc… Je pétais le feu à la fin, et malgré l’énormissime prise de poids, zéro vergetures et j’ai perdu tous les kilos en 6 mois.
L’accouchement … je passe vite, péridurale foirée, 12 heures de travail (normal), douleurs abominables (non je ne les ai pas oubliées…), bref, elle est arrivée.
J’ai refusée de la prendre tant qu’elle n’était pas nettoyée et habillée (peur de trouver ça trop crado, belle idiotie de ma part). Ensuite petit câlin sur maman et c’est papa qui lui a donné son premier biberon. J’expliquerai une autre fois pourquoi je n’ai pas pu allaiter (rapport à l’anorexie + épisode particulier à 15 ans).
J’étais ravie qu’elle soit là, je me souviens de la scène comme si c’était hier, l’équipe médicale a dû halluciner quand j’y repense. Pendant que la puce prenait son bib avec papa sur un fauteuil près de moi, je me faisais recoudre et…j’envoyais des textos à tout le monde pour annoncer sa naissance !
Pourtant  je n’ai pas ressenti d’attachement pour ma fille, je n’ai pas fondu d’amour devant sa bouille, je ne l’ai pas trouvée jolie (ni moche non plus), l’instinct maternel n’est pas venu.
Sur le moment ça ne m’a pas inquiétée, je savais très bien que pour des mamans c’est immédiat et pour d’autre tous ça se construit, le temps de faire connaissance avec son enfant.
Puis, les visites ont commencé et on m’a dépossédé de ma fille, enfin c’est le sentiment que j’ai eu à force d’entendre qu’elle ressemblait tête coupée à son père et qu’elle n’avait vraiment rien de moi ou de ma famille.
 J’avais envie de hurler (hormones aidant), merde c’est quand même moi qui l’ai portée pendant 9 mois, le papa l’a pas fait tout seul, ok elle est blonde aux yeux bleus (ça s’est vu de suite) et moi châtain yeux noisettes, mais si je n’avais pas ces gènes en moi, elle aurait été brune !
Les gens ne se rendent pas compte qu’une maman qui vient d’accoucher est totalement un peu à fleur de peau et prend tout mal à la lettre, chez moi ça a occasionné des blessures profondes.
De retour à la maison, crevée, babyblues à fond, toujours pas de sentiments pour Rebecca… C’était un bébé adorable, facile, mis à part les 15 premiers jours avec la crise de fin de journée avec pleurs à gogo qui me donnaient envie de la passer par la fenêtre  fuir, mais là c’est normal chez les nouveaux nés.
Pour compenser mon manque d’amour, j’ai été techniquement au top tout de suite : aucune appréhension à la manipuler, la baigner, l’habiller. Chaque moment était réglé comme du papier à musique, l’heure des biberons, des changes, des dodos, du bain… Son sommeil était sacré, quiconque osait faire du bruit ou la réveiller, essuyait mes foudres ! Je notais consciencieusement les prises alimentaires, les pipis, le reste, dans un petit carnet, comme à la maternité, pendant trois mois j’ai fait ça…
Un jour, ma mère qui assistait au bain (gestes rapides, clairs, nets, précis) me dit : on voit que tu l’aimes ta fille (ah bon ? Moi-même en doute pourtant), mais tu n’es pas très maternelle dans tes gestes.  Sans blague ? Merci maman d’avoir pesé tes mots pour ne pas te faire engueuler me froisser. Mais j’en ai quand même eu les larmes aux yeux, j’ai vite détourné la tête.
Rebecca était le bébé rêvé : nuits de minuit à 10h à partir de 1 mois, puis elle a enchaîné plus de 12 heures de sommeil systématiquement. Elle souriait tout le temps, ne pleurait jamais (si, si, je vous jure !), râlait à peine quand c’était l’heure des repas, aimait passer du temps à jouer seule tranquillement sur son tapis d’éveil … mais moi, je ne savais toujours pas ce que je ressentais pour elle. Ou plutôt si : j’étais jalouse.
Normalement ce sont les pères qui sont un peu jaloux de la relation de leur bébé avec sa maman, car ils perdent un peu leur femme, n’ont plus l’exclusivité de l’amour de cette même femme devenue mère. Eh bien moi j’étais jalouse de la relation de Rebecca avec son papa, car elle était bien SA fille, jalouse qu’il en aime une autre, jalouse qu’elle lui fasse plus de câlins qu’à moi, bien que je ne fasse rien pour arranger les choses.
Je suis devenue de plus en plus dure avec elle, puisque je ne n’arrivais pas à l’aimer comme elle était, il fallait qu’elle devienne parfaite : je la grondais dès qu’elle faisait la moindre petite bêtise, salissait ses vêtements, cassait un jouet, ne finissait pas son repas, m’appelait quand j’étais occupée… en fait elle se faisait punir alors qu’elle se comportait comme n’importe quel enfant qui a besoin de faire des expériences, de s’affirmer comme individu , comme un enfant qui grandit quoi !
J’ai commencé à me dire que je n’étais pas normale, que je devrais aller me faire soigner. J’ai une amie (qui ne s’appelle  pas Nolwen mais qui se reconnaîtra) qui, à plus de 30 ans, a un mal fou à se construire comme adulte, à avoir confiance en elle, confiance en son conjoint, qui a peur de ne pas savoir être mère, car la sienne ne lui a jamais dit, ni montré qu’elle l’aimait. Et si Rebecca grandissait avec ces angoisses ? Saurais-je me le pardonner ?
Car voilà, elle va avoir 5 ans, elle est magnifique, une fillette blonde aux grands yeux bleus, comme je voulais que soit mon premier enfant, elle est loin d’être idiote, toujours aussi gaie que quand elle était bébé, elle a été difficile du point de vue nourriture mais ça va mieux maintenant qu’elle mange à la cantine, elle est polie, extrêmement sociable, prévenante, obéissante, adorable avec sa petite sœur… attention je ne dis pas qu’elle est parfaite, ça reste une enfant, donc parfois têtue, parfois insolente, parfois capricieuse (mais si peu), parfois jalouse de sa sœur. Je la défends comme une lionne quand elle est victime d’une injustice, je suis fière de la petite fille qu’elle est devenue, j’adore lui faire plaisir, la gâter, lui offrir un cadeau et voir son sourire illuminer son visage, j’accepte mal qu’on la critique de façon négative même si y a du vrai dedans, je cherche par tous les moyens, photos à l’appui, à prouver au monde qu’elle me ressemble… Et pourtant…
Pourtant  je suis toujours incapable de lui dire que je l’aime car je n’en suis pas sûre, je n’arrive pas à lui faire des câlins, j’ai du mal à accepter qu’elle me touche, je ne lui fais jamais de bisou non plus, sauf si vraiment elle m’en réclame, je ne la console pas en la prenant dans mes bras quand elle pleure, juste des mots rassurants (mais si froids et distants), elle ne me manque pas lorsqu’elle part en vacances dans la famille… (Voilà, j’espérais ne pas verser de larmes, loupé, ça déborde. Tant pis, je continue.)
Alors ? Suis-je foncièrement une mauvaise mère ?
Malheureusement j’ai la réponse et c’est non, car j’ai une deuxième fille de 17 mois dont je suis tombée amoureuse dès le premier regard, qui m’a fait fondre comme un chamallow dès la naissance, avec qui je suis totalement fusionnelle, qui me manque dès que je ne suis plus avec elle, qui me fait des câlins que j’adore, que j’embrasse souvent, que je laisse tout faire ou presque ne gronde pas assez souvent du point de vue de son père… Une fille avec qui je suis une mère « normale ».
Qu’on ne vienne pas me servir le discours classique comme quoi on n’aime pas un de ses enfants plus que l’autre, qu’on l’aime juste différemment, c’est faux, j’en fais la douloureuse expérience. Car bien entendu, depuis l’arrivée de Cassandre (troisième prénom cette fois), je me rends encore plus compte de mes problèmes avec Rebecca et j’en souffre encore plus. Je n’arrive pas à me décider à aller consulter, trop peur de ce que ça va faire remonter, je ne suis pas sûre d’être capable de l’encaisser. C’est pourquoi j’ai voulu coucher sur le papier la toile tout ce qui me bouleverse  depuis trop tant d’années, peut-être cela me servira-t-il de thérapie.
Chers lecteurs, si vous avez lu cet interminable ce long billet jusqu’au bout je vous en remercie, ne vous sentez pas obligé de me consoler, ce n’est pas le but.
Ne me jetez pas la pierre non plus s’il vous plaît, j’ai déjà assez mal comme ça, mais si vous voulez quand même me laisser un commentaire, je le lirai avec plaisir. Et je vous jure d’essayer de ne plus jamais publier de billet aussi triste.

5 commentaires:

  1. Cela fait simplement du bien de noter nos "maux" parfois...
    Je ne pense en effet pas que tu ne n'aimes pas ta première fille sinon tu ne la défendrai pas, mais l'histoire est simplement différente...
    Courage à toi, cela ne doit pas être facile mais si tu en ressent le besoin, en effet, quand ce sera le bon moment tu pourras consulter ! Ma soeur a mis 8 ans pour y aller (pour un tout autre problème).
    Bises

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  2. Bonne idée d'écrire, les mots soignent beaucoup plus de choses que ce que l'on croit, quand on ose les écrire, les dire, les relire ...
    Ne te sens pas coupable, tout change dans la vie, même nous, nos relations, notre rapport aux autres, on se surprend nous même, et on ne maîtrise pas tout (sinon ce serait trop simple, la vie sans surprises et sans émotions !).
    Vous allez vous promener ensemble sur les chemins de la vie, toi et ta fille, et je suis certaine que vous vivrez des moments merveilleux, que vous construirez une autre complicité que celle que tu as avec sa soeur, à un age différent peut-être ...
    Bisous et un gros <3 et un câlin virtuel !

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  3. Ce que tu dis là n'est pas simple et tu as raison d'en parler. Personne ici ne te jugera... Ou alors byebye!!!
    L'amour est un sentiment très complexe et inanalysable. Et tu l'aimes, ta fille, c'est certain. Tu ne sais pas le lui dire mais ton billet lui le fait pour toi.
    Si tu en as la possibilté, consulte quelqu'un pour t'aider à construire une vie à 4 encore plus belle.
    Mes pensées t'accompagnent...

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  4. Réponse à une amie... "douleurs de fille"
    J'ai lu...au plus j'avançais, au plus j'ai pleurée, j'ai simplement revue le déroulement de mon enfance face à ma propre mère.
    Excuse moi d'avance...pour ce qui peut te blesser.
    Le seul reproche que j'ai envers ma mère qui nous aurai évité bien des souffrances c'est d'avoir cru qu'elle saurai se guérir de ses maux toute seule. Elle aurai dû se faire aider, une psychologue aurai suffit. Elle a cru à tort qu'elle y arriverai seule, en lisant des livres, en faisant de la graphologie, en me parlant de ses choses bizarres quand j'étais en pleine adolescence et que je pensais qu'à flirter...C'est Faux on n'y arrive pas seule même si on est intelligent.
    Je te jure que tu n'es pas une mauvaise mère, tu l'aimes parce que tu es possessive mais tu es jalouse de ta fille parce que c'est toi qui a souffert dans ton corps et ton âme... tu souffrira encore mais tu peut y mettre fin. Juste qu'il faut prendre ton courage à deux mains et résoudre ces "douleurs de mère", pour toi, pour elle, pour sa soeur et pour ton mari. La plus sûre des preuves d'amour envers Rébecca c'est de faire face à tes peurs (justifiées sûrement et sans aucun doute). Ne crois pas que ça passera avec le temps et toute seule. Au plus tu le fera tôt, au plus tu sauvera ta relation future avec ta fille. Elle aura souvent besoin de toi, il faudra que tu puisse l'aimer et le lui dire, la rassurer, la consoler, la conseiller, la prendre dans tes bras. Je le sais, je le vis avec ma Maman chérie que j'aime tant et dont j'ai si souvent besoin. Cela fait trop mal de ne pas sentir l'amour dans le regard, les gestes et les paroles de la seule personne la plus chère au monde, notre Maman, notre référence. On lui pardonne tout parce qu'on l'aime malgré tout. (Et voilà forcément moi aussi je pleure).
    Sache que ton histoire m'aide à comprendre ma propre histoire et surtout celle de ma mère lorsqu'elle m'a mise au monde. Nous souffrons toutes deux (elle m'a dit le jour de l'an qu'elle en souffrait de me voir souffrir) du déroulement de nos vies, de ce mal qui a été fait, gardé sous silence et qui nous a rongées. Quel dommage toutes ces années de doutes, de haine, de souffrances pour finir à n'être que de l'amour non dit.
    Bises affectueuses.

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